LES PORTS DE MAC ORLAN : LONDRES.

Publié le par pierre escaillas

 



On le sait : la puissance de cette ville immense, cernée de terrains de jeux où de gais vieillards portent encore le full blue mal cousu sur un maillot déteint, est d'origine marine. La Tamise universitaire d'Oxford, en changeant de nom, accueille sans intermédiaires les cargos géants et l'exotisme qui donne au grand commerce sa poésie des quatre points cardinaux ou, si l'on veut, des quatre épices : le poivre, le rhum, la chanson de Mandalay et l'orgueil des sept mers.

   


C'est plus qu'il n'en faut pour alimenter une nation calme et poétique qui ignore les exigences passionnées de son propre lyrisme.
A Londres, la mer disciplinée par l'influence de la Tamise, les maléfices marins demeurent impuissants aux portes du havre. L'albatros de Coleridge vient manger le pain émietté sur les eaux coquettes du park, aux accents lointains et brumeux des pipes de la relève des grenadiers de la garde écossaise. . . .

C'est un peu en suivant mon ombre comme un guide que j'ai aimé Londres la nuit. Le bruit de mes pas, à mon gré, manquait de discrétion. Il eût été préférable que je fusse chaussé de ces silencieux escarpins dont usent les Chinois de Pennyfields. Ces hommes, des navigateurs pour la plupart, marchent sur le sol comme sur une eau sans rides, et pour aller au pub acheter une pinte de bière, ls suivent des labyrinthes de romans d'aventures. Je ne les ai jamais suivis jusqu'au bout de leur destin. Je pense qu'il ne peut être plus inquiétant que le nôtre.

  


La nuit de Londres n'appartient pas au présent. Qu'une mandoline ou une guitare animent un bar de Soho, la situation reste la même, car le passé est trop lourd pour s'évanouir dans le rayonnement de la chanson en vogue. Ces aimables fantômes, souvent violents et honnêtes, rejoignent leurs bibliothèques au premier appel de la trompette des Life Guards ou des bugles des quatre régiments de grenadiers. Sous les arbres du Mail, la haute silhouette maigre du héros de La Lumière qui séteint guette entre les arbres le roulement de tambour de la relève de la garde. Ah !  Londres est bien la gare régulatrice d'où l'on part pour Mandalay, c'est-à-dire pour son propre passé.

Pierre Mac Orlan.
Quais de tous les départs.
Chroniques recueillies par Francis Lacassin.
Editions Phébus.

Et aussi :  "Les Carnets de la Licorne" 
http://lalicorne.canalblog.com
  

 

      
 



Publié dans P. MAC ORLAN

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